Qu’est-ce que les World Models ?
Que sont les World Models, nouveau pari de Yann LeCun ?
Alors que l’industrie technologique capitalise massivement sur les LLM (Large Language Models), une remise en question majeure émerge au sommet de Meta, fin 2025. Yann LeCun, Prix Turing et figure de proue de l’IA (notamment des modèles à convolution), diagnostique une limite structurelle aux LLM : Ils maîtrisent des enchaînements de mots et c’est ce qui leur donne leur compréhension du monde.
Les LLM avancent-ils désormais sur un plafond de verre technologique ?
Pour dépasser cette limite, la vision de Yann LeCun semble vouloir orienter les recherches en IA vers un nouveau paradigme : les World Models.
Quels sont les enjeux de cette rupture architecturale ? En quoi cette approche diffère-t-elle fondamentalement des solutions comme ChatGPT/Llama/Claude/etc. ?
Analyse d’une vision qui privilégie la pertinence cognitive à l’éloquence statistique.
Qu’est-ce qu’un World Model ?
L’architecte audacieux face au perroquet efficace
Pour comprendre le « World Model », il faut d’abord comprendre les limites actuelles du LLM.
Le LLM est un moteur probabiliste hors pair. Il enchaîne les mots comme des perles logiques, calculant la suite la plus statistique. Il écrira « le verre tombe » par habitude linguistique, sans posséder la moindre notion interne de gravité ou de fragilité. Il maîtrise la logique grammaticale. La compréhension du monde des LLM vient du texte.
Le World Model veut faire l’inverse, il va simuler le monde physique avant de poser de la grammaire et de la syntaxe dessus. Il brise la coquille et regarde à l’intérieur ce qu’il se passe. Il ne joue pas avec les mots, il simule le réel.
Vous l’aurez compris, c’est bien sur des pixels (photos et vidéos) qu’on entraîne des World Models.

Quand le “sens commun” est synonyme de “bon sens”
La promesse des World Models tient en deux mots, le Graal de l’IA : le Sens Commun.
- Comprendre plutôt que recracher : Là où le LLM hallucine avec assurance, le World Model raisonne avec prudence. Il possède une « physique intuitive ». Il sait ce qui est plausible et ce qui est impossible.
- L’efficacité de l’apprentissage : Un enfant n’a pas besoin de lire trois milliards de pages pour comprendre qu’un feu brûle. Il observe. Les World Models promettent d’apprendre vite, avec beaucoup moins de données, en observant le monde (vidéo) plutôt qu’en lisant du texte.
- La planification réelle : Pour agir, il faut prévoir. Promesse d’une IA capable de planifier des actions complexes dans le monde réel (robotique, logistique) en anticipant les conséquences de ses choix, chose qu’un générateur de texte peine à faire sans erreur.
Le pari du World Model : avancer lentement mais sûrement !
On pourrait dire que c’est une flèche de bon sens qui ne peut pas rater sa cible : l’évolution a produit des cerveaux capables de naviguer dans le monde bien avant l’invention du langage. Les bébés nageurs savent qu’il ne faut pas respirer sous l’eau, c’est pour ça qu’on les jette dans le grand bain sans peur ; même s’ils ne connaissent pas grand-chose au langage, ils savent “prédire” quand respirer ou retenir son souffle.
Derrière cette phrase en prose se cache une littérature scientifique qui pose les hypothèses du succès des World Models : de véritables snipers quand il s’agit de trouver le bon manuel d’apprentissage dans une bibliothèque inépuisable de connaissances.
Cette rupture technologique promet une sobriété radicale (mais seulement une fois le modèle en place). Loin des gouffres énergétiques de l’apprentissage supervisé tel que nous le pratiquons aujourd’hui, ces modèles apprennent par simple observation, transformant des bribes de données en savoir robuste sans intervention humaine récurrente. Le potentiel est celui d’un modèle qui n’a plus besoin de tout voir des milliards de fois pour être efficace, mais qui apprend à naviguer sur les eaux de l’inconnu et qui améliore jour après jour ses compétences à la boussole et au gouvernail.

Complexité de mise en œuvre des World Models
Pourtant, la route est pavée d’incertitudes. Le rêve des World Models se heurte à la rugosité du réel.
- L’infini des détails : Le monde est infiniment plus riche et bruyant que le texte. Prédire la chute d’une feuille morte est mathématiquement chaotique. Le modèle risque de se noyer dans les détails insignifiants (comme le mouvement de chaque brin d’herbe) au lieu de saisir l’essentiel.
- L’abstraction difficile : Apprendre à ignorer est aussi dur qu’apprendre à savoir. L’algorithme doit réussir à extraire des concepts de haut niveau à partir de pixels mouvants, sans aide humaine. C’est un défi mathématique colossal.
- La puissance de calcul : Simuler une représentation du monde, même abstraite, pourrait demander une énergie pharaonique, rendant ces modèles, pour l’instant, économiquement non-viables face à des LLM déjà plus avancés. Ce sont surtout les premières briques des World Models qui coûteront cher.
- Réussir à utiliser / réentrainer ce world modèle pour qu’il puisse « parler », et donc faire les tâches des LLM. C’est cette étape qui est aujourd’hui très théorique et relativement long terme.
Et sûrement bien d’autres limitations que nous ne connaissons pas encore…
Notre avis sur les World Models
Les LLM nous ont éblouis par leur éloquence ; les World Models veulent nous convaincre par leur perception.
Parier sur les World Models, c’est quelque part parier sur un changement de paradigme dans le domaine de l’IA.
Nous, on aime l’audace de tenter de relever ce défi et on a hâte de voir quelles tactiques mathématiques vont être déployées sur le sujet à l’avenir !
Pour les petit.e.s techos et scientos parmis vous qui souhaitent décortiquer des sources connexes :
- LeCun Y. A Path Towards Autonomous Machine Intelligence Version 0.9.2, 2022-06-27. https://openreview.net/pdf?id=BZ5a1r-kVsf
- Assran M, Duval Q, Misra I, Bojanowski P, Vincent P, Rabbat M, et al. Self-Supervised Learning from Images with a Joint-Embedding Predictive Architecture [Internet]. arXiv; 2023 [cité 19 nov 2025]. Disponible sur: http://arxiv.org/abs/2301.08243
- Yang H, Huang D, Wen B, Wu J, Yao H, Jiang Y, et al. Self-supervised Video Representation Learning with Motion-Aware Masked Autoencoders [Internet]. arXiv; 2022 [cité 19 nov 2025]. Disponible sur: http://arxiv.org/abs/2210.04154